Jeux vidéo, jeux d’argent : la grande confusion ?

Il y a encore peu de temps, il était simple de faire la distinction entre les jeux vidéo et les jeux d’argent.

Il y a encore peu de temps, il était simple de faire la distinction entre les jeux vidéo et les jeux d’argent. Les deux paraissaient même très éloignés l’un de l’autre, autant d’un point de vue des usages, de la cible, et de ce qui nous intéresse ici, leur cadre juridique. On pensait aux consoles traditionnelles et aux jeux de notre enfance d’un côté (Mario Kart, Tétris, ...), et aux machines à sous ou aux jeux vendus en bureaux de tabac, de l’autre.

Les lignes ont ensuite doucement bougé avec le développement des nouvelles technologies, d’Internet et, de manière générale, avec la dématérialisation des supports.

Enfin, en faisant le constat que nous avions tous potentiellement une console dans la poche, cette tendance s’est nettement emballée avec une multitude de mécaniques et formats de jeu différents. Le développement des jeux sur mobile a ainsi bouleversé le modèle économique en proposant des jeux gratuits1 au téléchargement dans lesquels des achats intégrés sont disponibles pour acheter des fonctionnalités, ou pour accélérer la progression. La publicité vient s’ajouter aux revenus des éditeurs de jeux, complétant ainsi la monétisation de ce nouveau modèle.

Concernant le cadre juridique, les choses étaient simples également :

  • Côté jeux vidéo, pas de législation spécifique : les enjeux juridiques ont été logiquement abordés sous l’angle de la propriété intellectuelle avec une évolution jurisprudentielle partie de la protection par le régime des logiciels, avant que le jeu vidéo ne soit finalement établi comme une œuvre complexe2dont « chacune de ses composantes est soumise au régime qui lui est applicable en fonction de sa nature »3 . Cette application distributive permet ainsi de couvrir cet ensemble composé à la fois d’innovations technologiques et de créativité artistique. Du point de vue de l’utilisateur, le jeu vidéo était un « produit » comme un autre qu’il achetait afin de l’utiliser ou de le revendre.
  • Côté jeux d’argent et de hasard : des règlementations spécifiques ont été mises en place très tôt afin d’encadrer cette activité fructueuse, le plus souvent en instaurant un monopole d’Etat. Le principe général d'interdiction des jeux de hasard en France a ainsi été posé dès le 19e siècle par plusieurs lois spécifiques : celle du 21 mai 1836 qui proscrit les loteries, celle du 2 juin 1891 sanctionnant les paris sur les courses de chevaux, et la loi du 15 juin 1907 qui autorise, sous conditions, l'exploitation de casinos dans certaines villes. Une loi générale du 12 juillet 1983 est venue ensuite interdire les jeux de hasard en général.

L’avènement d’internet et l’accessibilité de sites de jeux d’argent en ligne étrangers, ainsi que la pression de la Commission européenne de supprimer les restrictions à la concurrence 4, ont poussé le législateur français à ouvrir une partie du marché. Ainsi, le poker, les paris sportifs et hippiques en ligne ont été régulés par la loi de 20105 , qui a instauré un régime d’autorisation par agrément, pendant que le monde physique (casinos, points de vente et hippodromes) restait lui sous un régime monopolistique, et les jeux de casino en ligne, toujours interdits.

Aujourd’hui, ces deux industries ne semblent plus si éloignées l’une de l’autre jusqu’à observer une certaine porosité entre les 2 mondes.

Grâce aux achats intégrés, les flux financiers des jeux « gratuits » sont devenus colossaux et les nouvelles technologies, que ce soit les NFT ou la blockchain avec les jeux Web3, ont permis de développer ces modèles alternatifs sans cadre juridique spécifique. En effet, à la différence des jeux d’argent en ligne, la loi de 2010 ne leur est pas applicable, et ils n’ont donc aucune obligation concernant le contrôle de l’identité des joueurs, les mesures de lutte contre la fraude et le blanchiment d’argent, ou encore la prévention des risques d’addictions … alors qu’ils sont a priori tout aussi concernés par ces enjeux, si l’on considère que ces jeux attirent plutôt des joueurs jeunes.

La loi SREN du 21 mai 20246 est venue apporter une réponse à cette confusion des genres en créant un régime intermédiaire pour le secteur dit « des jeux à objets numériques monétisables » (JONUM) entre jeux d’argent en ligne et jeux vidéo. Les acteurs proposant ce type de jeux7 devront donc effectuer une déclaration préalable auprès de l’Autorité Nationale des Jeux, qui encadre déjà les opérateurs sous monopole ainsi que ceux disposant d’un agrément pour offrir les jeux d’argent en ligne.

Si nous attendons encore les décrets d’application précisant les contours de ce nouveau régime expérimental, il est certain que les difficultés risquent d’être nombreuses à la vue de la diversité des types de jeu et mécaniques en place.

De quoi continuer de s’amuser aussi d’un point de vue juridique !

Article publié dans l'édition n°102 du Journal du Management Juridique (octobre-novembre 2024)

  • 1 Ces jeux gratuits au téléchargement représentent plus de 90% des jeux proposés sur les stores Apple ou Android.
  • 2 Arrêt « William Electronics » du 7 mars 1986, Cass. Ass. plén.
  • 3 Arrêt « CRYO » du 25 juin 2009 Cass. 1er. civ.
  • 4 Lettre de mise en demeure adressée à la France par la CE, 12 octobre 2006, ouvrant une procédure générale d’infraction.
  • 5 Loi n° 2010-476 du 12 mai 2010 relative à l'ouverture à la concurrence et à la régulation du secteur des jeux d'argent et de hasard en ligne.
  • 6 Loi n° 2024-449 du 21 mai 2024 visant à sécuriser et à réguler l'espace numérique, Article 40 et 41.
  • 7 Jeux définis comme fonctionnant selon un mécanisme aléatoire, pour lesquels les joueurs doivent consentir un sacrifice financier pour acquérir des objets numériques, mais sans jamais pouvoir obtenir de récompenses (ou « prix ») en monnaie ayant cours légal.

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